Le scandale du double salaire d’Henri Proglio, nouveau PDG d’EDF et encore président de Veolia, aura fait couler beaucoup d’encre et de salive. L’opposition a fait son miel de ce grossier arrangement entre amis tandis que les élus de la majorité hissaient Proglio au grand cacatois de la "méritocratie", présenté comme un homme qui a fait ses preuves à la tête du n°1 mondial de l’environnement, une entreprise française qui réussit et exporte son savoir-faire… Oui, mais justement, le vrai scandale ne réside-t-il pas dans ce discours d’encensement de la réussite de Veolia, un discours que la gauche aussi pourrait tenir dans d’autres circonstances, car Proglio n’a pas que des amitiés élyséennes ? D’un naturel discret jusqu’à cette malheureuse affaire, il est un homme aux solides réseaux qui incarne la continuité chez Veolia. Entré à la Compagnie Générale des Eaux il y a presque 40 ans, il en a dirigé la filiale propreté, la CGEA, à partir de 1990 avant de prendre la direction du groupe Veolia Environnement en 2000. Oui, l’histoire de Proglio se confond avec celle de Veolia : si c’est certainement une histoire de gros sous, ce n’est pas une histoire d’amour pour l’environnement.
C’est l’histoire d’une entreprise qui vit des rentes de marchés captifs (eau, déchets, transports publics) que lui assure la délégation de service public. Aucun risque que ces marchés disparaissent un jour. Une entreprise qui forme avec son alter-ego française Suez-Lyonnaise un duopole, chacun son tabouret mais les deux traient la vache à lait française - à toi les eaux de la rive droite, à moi la gauche, à toi l’incinérateur, à moi la décharge. Aucun danger ainsi qu’une entreprise étrangère propose ses innovations à des marchés publics français et, d’ailleurs, dans les archives du Canard Enchaîné, on pourrait passer des heures à se replonger dans les vieilles affaires politico-financières.
C’est aussi l’histoire d’une entreprise qui s’est payé un empire de la communication (cinéma, musique, téléphonie mobile) avec l’argent public de l’eau et des déchets. La fête Vivendi finie, reconnaissons à Proglio qu’il se battit pour reconsolider un groupe purement environnement, Veolia ; le pôle "communication" de l’empire s’est, lui, échappé à jamais de nos questionnements de contribuables. De l’aventure Vivendi, l’ex-Générale des Eaux sort aussi conquérante d’une présence sur tous les continents où la France l’aide à exporter son bienheureux modèle de délégation de service public. Veolia tisse en effet sa toile d’influences dans les plus hautes sphères et étend son réseau jusqu’aux métropoles des pays du Sud, dernières parts de marché à prendre.
Mais quel est-il, ce savoir-faire ? Cette longue expérience française qu’incarne Proglio depuis 1972 ? Voyons, en France, en 2009, 70 % de nos déchets étaient enfouis ou incinérés. Il semble que les rentes de Veolia n’aient pas profité à sa créativité industrielle car depuis 40 ans, elle ne propose que les deux mêmes technologies (sic) pour les déchets ; elles changent parfois de nom, pas de principe, enfouir ou brûler. Comme pour la gestion de l’eau, les améliorations techniques ne font que suivre l’évolution des normes européennes et ne consistent qu’à rajouter un étage supplémentaire au bout du tuyau. Une approche qui permet de grossir toujours plus la facture sans rien remettre en cause. C’est largement pourquoi la France en est là, malgré son statut de pays maternel des deux plus grandes multinationales du secteur et malgré le récent Grenelle, sans perspective d’une reconversion écologique de son économie et d’une reconquête de son environnement souillé.
Je ne veux pas dire qu’on ne fait rien à Veolia. L’entreprise est hyperactive et omniprésente. Elle finance et formate la recherche universitaire. Elle façonne les normes et les politiques environnementales à Paris comme à Bruxelles, toujours avec le même objectif d’immobilisme et jamais à l’encontre des intérêts de ses clients et actionnaires industriels. Elle dépense beaucoup en communication, en publicité et en actions caritatives, voire humanitaires depuis la création de Veolia Waste Force qui intervient bénévolement sur les grandes catastrophes.
Que nous réserve donc le non-départ de Proglio de la tête de Veolia ? Une stratégie de rapprochement avec EDF se dit-il. Alors ça ne présage rien de bon. Veolia et Suez, les "Dupont de l’environnement", suivraient encore une fois, le même chemin, après la fusion Suez-GDF. Pour quel projet industriel ? Proroger la mascarade de la "valorisation énergétique" des déchets ? A l’heure où entreprises et Etats se mettent en ordre de bataille pour une hypothétique "guerre de l’énergie", la valorisation est un mythe qui a le vent en poupe. Mais elle ne contribuera en rien à résoudre le dérèglement climatique planétaire et encore moins à régler nos problèmes de déchets. Le vrai scandale Proglio est toujours en cours.
Yannick VICAIRE
Membre du Conseil d’administration du Cniid