Les uns la regrettent, les autres la redoutent, une chose est sûre : la consigne agite les esprits. Si la bouteille consignée continue à exister dans certains endroits, à l’image de la « 75 cl Alsace » et dans les circuits de restauration et d’hôtellerie, dans l’ensemble, elle se fait rare de nos jours. Pourquoi et quand a-t-elle cédé sa place à ses équivalents jetables ?
Les années 1960 sont marquées par l’automatisation de la production industrielle. De nouveaux produits inondent le marché, le concept du jetable fait son entrée et la société de consommation s’installe progressivement. L’emballage à usage unique devient un argument de vente. Ainsi, en 1963, un fabricant d’huile en bouteille vante les avantages de la bouteille non consignée : « C’est plus sûr : non consignée, la bouteille ne sert que pour vous, elle ne sert qu‘une fois ; vide, on la jette, elle ne revient pas » [1].
La bouteille en verre consignée pour réutilisation n’a pas disparu du jour au lendemain, mais en l’espace de 30 ans, le changement, radical, s’est traduit par une croissance folle de la production de déchets d’emballages. « J’étais tout jeune maire dans les années 89-90 et nous nous sommes aperçus assez vite - nous les collectivités locales - que la nature de nos déchets changeait et que le volume des emballages augmentait en pourcentage du volume total : 50 % des déchets étaient constitués par les emballages. Nous avons également noté la forte montée des plastiques. Les industriels, sans nous en informer ni nous demander notre avis, passaient du jour au lendemain du verre consigné au verre perdu ou, pire encore au PVC à l ‘époque ou au PET. Donc, sans informer les communes et sans leur accord, on leur a transféré de façon unilatérale la charge du traitement de tonnages nouveaux venant des industriels » témoigne le Président de l’Association des Maires de France lors d’une rencontre-débat en 2005 [2].
En effet, ce n’est qu’en 1992 que les conditionneurs, importateurs ou distributeurs seront obligés par décret de pourvoir ou de contribuer à l’élimination des déchets d’emballages ménagers. En théorie, la règlementation française leur offre trois possibilités pour répondre à cette obligation : la consigne, la mise en place d’un système individuel de reprise (par des dispositifs spéciaux de dépôt) ou l’adhésion à un organisme collectif agréé par les pouvoirs publics, qui sera plus tard connu sous le « joli » nom d’éco-organisme.
Il va sans dire que ces trois possibilités ne représentent toutefois pas la même implication financière pour celui qui emballe ses produits : alors que la prise en charge des coûts liés aux déchets d’emballages est intégrale pour la consigne et le système individuel de reprise, elle n’est que partielle pour ce qui est de l’adhésion à un organisme collectif. A ce sujet, le rapport interministériel d’audit d’Eco-Emballages d’avril 2009 précise d’ailleurs qu’en « 1992, cette option (consigne ou système individuel de reprise, ndlr) a été inscrite dans le décret parce que l’on considérait (à juste titre) illégal d’imposer l’adhésion à un organisme collectif et donc nécessaire d’offrir une autre solution, tout en pensant que celle-ci ne serait pas utilisée, ce qui s’est avéré exact dans la pratique » [3].
Si, en 1963, la bouteille consignée pouvait être considérée comme ringarde, elle est devenue - pour les industriels - une menace au début des années 1990, à l’ère du développement de la collecte sélective et de l’incinération. Dans un rapport paru en 1999, deux élus nationaux précisent que « Adelphe (société créée en 1993 à l’initiative des opérateurs du secteur des vins et spiritueux, ndlr.) a été créée en réponse à une inquiétude face au modèle allemand de récupération par consigne. La consigne des bouteilles de vin par exemple aurait été ingérable à traiter en France et il était impératif d’éviter à tout prix un tel système. La réponse a donc été Adelphe et un système souple identique à celui d’Éco-Emballages. L’objectif a été atteint. La menace de la consigne paraît définitivement exclue » [4].
La consigne s’attire-t-elle les critiques de la majorité des industriels car elle offrirait, comme le prétend en 2008 Eco-Emballages, un « (...) bilan environnemental généralement non favorable » [5] ou parce qu’elle fait obstacle au commerce sans contraintes ? Rappelons que la première directive européenne propre aux emballages et aux déchets d’emballages ménagers et non ménagers a été adoptée fin 1994, alors que le système français des éco-organismes était déjà en place.
« La démarche qui a présidé à la création de l’Adelphe, en 1992, était à la fois positive (la récupération du verre est relativement facile à organiser, le recyclage est économiquement intéressant parce qu’il engendre des économies d’énergie, la création d’une filière spécifique répond à un besoin économique et social) et préventive, pour ne pas dire défensive. L’enjeu, pour les industriels, était d’éviter une directive européenne s’inspirant du modèle allemand fondé essentiellement sur la consigne.
Ce choix allemand n’était d’ailleurs pas inspiré par des considérations uniquement techniques ni écologiques, mais était un moyen détourné, mais efficace, d’éviter la concurrence des eaux étrangères (en l’espèce les eaux italiennes et surtout françaises) » [6] nous apprend au passage le rapport des élus.
Pour le Cniid, ce ne sont donc pas des considérations environnementales mais avant tout de nature commerciale qui ont conduit à la disparition de la consigne pour réutilisation au profit des emballages à usage unique.
Rien ne permet de justifier aujourd’hui l’opposition à la consigne pour réutilisation. Et une étude de faisabilité permettant de définir les conditions de mise en œuvre de la consigne des bouteilles pour réutilisation en France serait la seule suite cohérente des travaux conduits depuis 2008 [7].
Trouvez dès le mois prochain la suite de cet article avec un tour d’horizon des expériences de terrain et des informations pratiques sur la consigne pour réutilisation et la consigne pour recyclage.
[1] Illustre l’article de Mathieu Glachant dans « La Prévention des déchets », Annales des Mines (2005) : Le concept de Responsabilité élargie du producteur et la réduction à la source des déchets de consommation, p. 96
[2] Transcription de l’exposé de Jacques Pélissard : Les Maires, fantassins du développement durable lors de Rencontre-débat du Comité 21 du mercredi 8 juin 2005
[3] Conseil général de l’environnement et du développement durable, Inspection générale des finances, Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies (2009) : Rapport de la mission d’audit du dispositif de contribution à l’élimination des déchets d’emballages ménagers, p. 6
[4] Gérard Miquel et Serge Poignant (1999) : Rapport sur les nouvelles techniques de recyclage et de valorisation des déchets ménagers et des déchets industriels banals, Première partie IV B 2 e
[5] Cité dans Conseil général de l’environnement et du développement durable, Inspection générale des finances, Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies (2009) : Rapport de la mission d’audit du dispositif de contribution à l’élimination des déchets d’emballages ménagers, annexes, p. 338
[6] Gérard Miquel et Serge Poignant (1999) : Rapport sur les nouvelles techniques de recyclage et de valorisation des déchets ménagers et des déchets industriels banals, Troisième partie I A 2 d
[7] Etudes réalisées pour le compte de l’ADEME : Bilan des connaissances économiques et environnementales sur la consigne des emballages boissons et le recyclage des emballages plastiques en 2008 et Evaluation des résultats de la réutilisation et du recyclage des emballages en Europe en 2009.