« Nous avons aujourd’hui plus que jamais besoin d’un changement de paradigme : ne pas produire toujours plus de déchets sous prétexte qu’ils sont recyclés, mais en produire moins et gérer autrement les déchets existants par exemple grâce au réemploi » écrivait le Cniid fin 2008 à l’occasion de la publication du rapport « Réduction des déchets : les trois vérités qui dérangent ». Près de deux ans et deux « lois Grenelle » plus tard, ce commentaire conserve malheureusement toute sa pertinence. Dans une société fondée artificiellement sur le modèle de l’infini, le recyclage permet en effet de continuer selon la logique du « business as usual » : la bouteille en plastique jetable passe de 100 % de matière vierge à 75 % de matière vierge et 25 % de matière recyclée, sans pourtant toucher à la racine du problème de production massive de déchets, et (presque) tout le monde s’en félicite. L’idée de réellement emballer ou produire autrement est retoquée, repoussée le plus longtemps possible, car un tel changement profond de l’organisation s’avère incompatible avec des intérêts privés à court terme.
Les deux derniers exemples en la matière : le rasoir jetable d’origine française et la dosette de café suisse. Devenus recyclables, en théorie, suite à une initiative volontaire et récente de leurs fabricants, ils se refont une beauté verte et disposent désormais d’une longueur d’image d’avance sur leurs concurrents dont les produits finissent en incinérateur ou en décharge.
Mais un produit à usage unique, donc fortement générateur de déchets, ne pourra pas avoir sa place dans une société tournée prioritairement vers la réduction des déchets. S’accrocher à un produit ou emballage, mal conçu dès le départ du point de vue environnemental, en essayant de l’améliorer à tout prix n’est à notre sens pas acceptable.
L’urgente nécessité de passer d’une organisation linéaire à un modèle circulaire inspiré par les écosystèmes naturels fonctionnant en boucle fermée peut nous amener à recycler davantage de produits arrivés en fin de vie. Mais n’oublions pas les limites du recyclage. A première vue, l’aluminium qui sert à fabriquer les dosettes de café s’en sort plutôt bien car ce matériau se recycle à l’infini et deviendra à nouveau de l’aluminium. Toutefois, minéral d’origine non renouvelable, les réserves d’aluminium se situent, selon une estimation de l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE), entre 60 et 80 ans. L’utiliser pour fabriquer des biens qui ne représentent pas d’intérêt essentiel pour la société comme les canettes de boissons, les dosettes de café ou le papier d’aluminium, dispositifs à usage unique, constitue une aberration environnementale. D’autant plus que le recyclage de l’aluminium pollue et qu’il passe souvent par la filière de l’incinération. Ainsi, en 2008, sur l’ensemble des 2 483 tonnes d’aluminium remis à la filière de recyclage par le Syndicat Intercommunal de Traitement des Ordures Ménagères (SYCTOM) de l’agglomération parisienne, seuls 162 étaient issues des collectes sélectives [1]. Eco-Emballages rachète par ailleurs la tonne d’aluminium extraite des mâchefers de l’incinération à un prix plus intéressant que celle issue de la collecte sélective.
Le cas est encore moins glorieux pour le plastique des rasoirs, car si son recyclage réduit l’utilisation de produits pétroliers, ce matériau ne se recycle qu’un nombre de fois limité et finira par être incinéré ou enfoui.
Nul doute qu’il faut développer les techniques de recyclage qui restent largement perfectibles, mais le fait qu’un produit ou un emballage à usage court soit recyclable ne doit pas occulter le fait que la prévention des déchets reste la priorité. Evitons donc les biens rapidement jetables. Concentrons-nous sur le recyclage des biens à durée de vie importante comme les vêtements, meubles, équipements électriques et électroniques notamment, car il y a déjà largement de quoi s’occuper en la matière. Par exemple, de nos jours, seuls 30 % des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) sont collectés sélectivement dont 2 % sont réemployés, 80 % recyclés et 18 % incinérésD [2]. De surcoît, le recyclage de ces déchets se focalise essentiellement sur la valorisation des métaux par broyage et seconde fusion, qui engendre à son tour des pollutions et condamne le reste des matériaux à la destruction, aux dépens du démantèlement et du réemploi des composants et du recyclage des plastiques. Bien entendu, le Cniid continue à soutenir une société tournée vers le recyclage, mais une société avant tout plus sobre : le recyclage ne doit pas servir d’alibi pour continuer à produire sans réfléchir.
Cet article est extrait du Cniid-infos n°37 (Août-Novembre 2010), un bulletin financé par les adhérents du Cniid et dont ils ont la primeur. Si vous voulez soutenir cette information, adhérez !
[1] Rapport d’activité 2008 du SYCTOM de l’agglomération parisienne, p. 41.
[2] ossier de presse du Ministère en charge de l’environnement relatif à la filière des DEEE (2010) : le bilan de la filière pour la période 2006-2009 et les nouveaux défis fixés pour 2010-2014, p. 15.