En 2010, le Cniid publiait avec les Amis de la Terre un rapport sur l’obsolescence programmée des produits électriques et électroniques. Ce concept visant à écourter volontairement la durée de vie des produits est de plus en plus connu du grand public. Au cours des derniers mois, de nombreux autres témoignages de la réalité de ces pratiques sont venus s’ajouter à ceux recueillis par le Cniid. Le gaspillage qu’elles engendrent est de moins en moins bien accepté par les consommateurs. Au point d’influencer décideurs et producteurs ?
L’obsolescence programmée est née de la nécessité de surmonter des problèmes de surproduction, caractéristiques des contradictions du modèle productiviste, qui apparaissent dès les années 30 aux États-Unis. Dès lors qu’un marché est saturé, comment continuer à vendre plus ?
La réponse d’une économie fondée sur l’exploitation illimitée des ressources naturelle n’a pas tardé : il suffit de diminuer la durée de vie ou d’utilisation du produit pour accélérer la fréquence de l’achat de renouvellement. C’est ainsi que Ford, qui avait misé au départ sur le caractère résistant de son modèle unique de Ford T s’est adapté à la stratégie mise en place par son concurrent Général Motors : proposer de nouveaux modèles et utiliser l’argument du design pour inciter à l’achat.
Pour cela, de vastes stratégies « industrialo-technico-commerciales » sont déployées de la phase de conception des produits jusqu’aux techniques de vente et concernent tous les secteurs de la consommation, des vêtements à l’équipement électroménager en passant par les produits électroniques.
Les méthodes d’obsolescence technologique (ou technique) consistent à avancer la fin de vie d’un produit, directement en diminuant sa robustesse, ou indirectement en rendant impossible sa réparation ou son évolution : pièces détachées indisponibles, produits indémontables, incompatibilité des logiciels, etc. Certains modèles récents de téléphone portable sont ainsi dotés de batteries directement intégrées dans la coque plastique, et qui ne peuvent donc être changées alors que l’on sait leur durée de vue limitée.
Les stratégies de vente jouent quant à elles de manière plus visible sur l’obsolescence esthétique ou psychologique des objets. L’effet de mode, l’attrait pour la nouveauté sont des phénomènes produits ou nourris par la publicité et qui sont désormais utilisés pour accélérer le renouvellement d’équipements jugés autrefois indémodables et sur lesquels il est difficile de faire valoir un quelconque argument de progrès technologique. Ainsi, pour continuer à vendre des grille-pains, une solution commerciale efficace consiste à créer de nouvelles gammes chaque saison, et de susciter dans le même temps chez le consommateur le besoin d’assortir l’appareil aux nouvelles tendances de la décoration intérieure…
Les industriels, pour qui le pouvoir d’achat des ménages doit être suffisant pour continuer à surconsommer du superflu, s’attachent donc surtout à augmenter sans cesse le « vouloir d’achat » du consommateur.
Les stratégies d’obsolescence programmée consistent à vendre de nouveaux biens le plus souvent possible. Elles conduisent donc logiquement à jeter plus. Rappelons que la quantité de déchets ménagers produite en France a doublé en l’espace de 20 ans, et que certains types de déchets particulièrement concernés par les stratégies d’obsolescence programmée, comme les équipements électriques et électroniques, ont augmenté plus vite encore que les autres. Leur traitement en tant que déchets est en outre particulièrement polluant du fait de la présence de multiples composés toxiques.
Ces mécanismes reposent par ailleurs sur un postulat erroné : celui d’une disponibilité illimitée des ressources naturelles. Dans le cas des produits électriques et électroniques, la raréfaction des matériaux utilisés (cuivre, or, cobalt ou zinc par exemple) est d’ores et déjà une réalité problématique pour les industriels producteurs.
Plutôt que de repenser leur modèle économique (en se concentrant par exemple sur les services associés aux produits), ces derniers croient voir une solution dans les techniques de recyclage. Si cette démarche présente l’avantage d’améliorer le taux de collecte et de diminuer l’impact en tant que déchets de ces produits, elle ne fait que repousser le problème. Le risque consiste à occulter l’enjeu réel, celui du passage d’une économie du jetable à une économie du durable.
Au-delà de l’écho important du rapport publié par le Cniid et les Amis de la Terre, de nombreux articles, reportages et documentaires ont été diffusés sur la question de l’obsolescence programmée. Le concept et les pratiques sont donc de plus en plus connus du grand public et suscitent de vives réactions, mais cela suffira-t-il pour désamorcer ces stratégies ?
Un certain nombre de réserves peuvent être émises, notamment car une partie de ces stratégies repose sur l’effet de mode et l’attrait pour la nouveauté qui sont, consciemment ou non, acceptés par le consommateur. La remise en question du poids et de l’impact de la publicité renvoie à un changement sociétal au moins aussi difficile à opérer que celui portant sur les fondements économiques de l’obsolescence programmée (le productivisme). L’économiste Serge Latouche en fait ainsi le constat : les trois piliers de la société de consommation du 20e siècle sont l’obsolescence programmée, la publicité et le crédit [1].
L’argument écologique pourrait pencher dans la balance, mais en matière d’obsolescence programmée, il faut rester vigilant. En effet, l’une des stratégies de vente les plus récentes pour inciter au renouvellement de l’équipement consiste justement à mettre en avant le caractère écologique de nouveaux appareils plus économes en eau ou en énergie. Or cet argument n’est recevable que si la durée de vie de l’appareil est suffisamment longue pour que l’économie réalisée dans la phase d’utilisation l’emporte sur la consommation de ressources (toujours très importante) dans la phase de production de l’appareil ! Pour un ordinateur par exemple, il faudrait que la durée de vie de l’appareil soit d’au moins 6 ou 7 ans pour que l’impact en termes de réduction de la consommation d’énergie soit significatif, alors qu’elle est estimée en réalité à 3,5 ans en moyenne.
Le consommateur-citoyen peut se sentir démuni face à ces pratiques, surtout lorsque tous les producteurs d’un même secteur les utilisent, rendant impossible le choix d’un produit plus durable que les autres.
A l’échelle individuelle, on peut cependant agir en cherchant systématiquement des solutions de réparation avant d’envisager le remplacement d’un objet. Cette démarche s’apparente parfois à un parcours du combattant, mais elle permet de soutenir une profession – celle de l’artisan- réparateur – directement touchée par la mise en place à grande échelle de l’obsolescence programmée. Le recensement des structures ou artisans proposant de la réparation ou de l’achat d’occasion peut d’ailleurs constituer une action intéressante à proposer au niveau de la commune ou de la communauté de communes, dans le cadre des programmes locaux de prévention des déchets.
A un niveau plus global, le Cniid porte plusieurs demandes visant à faire cesser ces pratiques et à mettre la logique économique en cohérence avec la réalité environnementale : affichage de la durée de vie des produits, extension de la garantie légale, obligation de rendre disponibles les pièces détachées à un coût raisonnable. Le comité de la prévention du ministère du Développement durable a annoncé récemment le lancement d’une réflexion sur la durée de vie des produits. Nul doute que les industriels affûtent déjà leurs armes...
Cet article est extrait du Cniid-infos n°40 (Juillet-Octobre 2011), un bulletin financé par les adhérents du Cniid et dont ils ont la primeur. Si vous voulez soutenir cette information, adhérez !
[1] Dans le documentaire « Prêt à jeter » de Cosima Dannoritzer, diffusé sur Arte le 15 février 2011.