Beaucoup la regrettent, quelques-uns la combattent, une chose est sûre : la consigne agite les esprits. Si la bouteille consignée continue à exister dans certains endroits, à l’image de la « 75 cl Alsace » et dans les circuits de restauration et d’hôtellerie, dans l’ensemble, elle se fait rare de nos jours. Pourquoi et quand a-t-elle cédé sa place à ses équivalents jetables ? C’est la question que le public pose souvent lors des interventions publiques du Cniid. Début 2010, nous avons décidé de publier une série d’articles au sujet de la consignation des emballages notamment pour faire table rase des préjugés semés à son encontre par quantité d’industriels et distributeurs. Découverte d’un parcours assez incroyable.
Les années 1960 sont marquées par l’automatisation de la production industrielle. De nouveaux produits inondent le marché, le concept du jetable fait son entrée et la société de consommation s’installe progressivement. L’emballage à usage unique devient un argument de vente. Ainsi, en 1963, un fabricant d’huile en bouteille vante les avantages de la bouteille non consignée : « C’est plus sûr : non consignée, la bouteille ne sert que pour vous, elle ne sert qu‘une fois ; vide, on la jette, elle ne revient pas » [1].
La bouteille en verre consignée pour réutilisation n’a pas disparu du jour au lendemain, mais en l’espace de 30 ans, le changement, radical, s’est traduit par une croissance folle de la production de déchets d’emballages (voir graphique montrant l’évolution des bouteilles consignées, des bouteilles pour recyclage – le verre perdu – et des bouteilles en plastique PVC ci-contre). « J’étais tout jeune maire dans les années 89-90 et nous nous sommes aperçus assez vite - nous les collectivités locales - que la nature de nos déchets changeait et que le volume des emballages augmentait en pourcentage du volume total : 50 % des déchets étaient constitués par les emballages. Nous avons également noté la forte montée des plastiques. Les industriels, sans nous en informer ni nous demander notre avis, passaient du jour au lendemain du verre consigné au verre perdu ou, pire encore au PVC à l’époque ou au PET. Donc, sans informer les communes et sans leur accord, on leur a transféré de façon unilatérale la charge du traitement de tonnages nouveaux venant des industriels » témoigne le Président de l’Association des Maires de France lors d’une rencontre-débat en 2005 [2].
En effet, ce n’est qu’en 1992 que les conditionneurs, importateurs ou distributeurs seront obligés par décret de pourvoir ou de contribuer à l’élimination des déchets d’emballages ménagers. En théorie, la réglementation française leur offre trois possibilités pour répondre à cette obligation : la consigne, la mise en place d’un système individuel de reprise ou l’adhésion à un organisme collectif agréé par les pouvoirs publics, qui sera plus tard connu sous le « joli » nom d’éco-organisme.
Il va sans dire que ces trois possibilités ne représentent toutefois pas la même implication financière pour celui qui emballe ses produits : alors que la prise en charge des coûts liés aux déchets d’emballages est intégrale pour la consigne et le système individuel de reprise, elle n’est que partielle pour ce qui est de l’adhésion à un organisme collectif. A ce sujet, le rapport interministériel d’audit d’Eco-Emballages d’avril 2009 précise d’ailleurs que « en 1992, cette option (consigne ou système individuel de reprise, ndlr) a été inscrite dans le décret parce que l’on considérait (à juste titre) illégal d’imposer l’adhésion à un organisme collectif et donc nécessaire d’offrir une autre solution, tout en pensant que celle-ci ne serait pas utilisée, ce qui s’est avéré exact dans la pratique » [3].
Si, en 1963, la bouteille consignée pouvait être considérée comme ringarde, elle est devenue - pour les industriels - une menace au début des années 1990, à l’ère du développement de la collecte sélective et de l’incinération. Dans un rapport paru en 1999, deux élus nationaux précisent que « Adelphe (société créée en 1993 à l’initiative des opérateurs du secteur des vins et spiritueux, ndlr.) a été créée en réponse à une inquiétude face au modèle allemand de récupération par consigne. La consigne des bouteilles de vin par exemple aurait été ingérable à traiter en France et il était impératif d’éviter à tout prix un tel système. La réponse a donc été Adelphe et un système souple identique à celui d’Éco-Emballages. L’objectif a été atteint. La menace de la consigne paraît définitivement exclue » [4].
La consigne s’attire-t-elle les critiques de la majorité des industriels car elle offrirait, comme le prétend en 2008 Eco-Emballages, un « (...) bilan environnemental généralement non favorable » [5] ou parce qu’elle fait obstacle au commerce sans contraintes ?
Rappelons que la première directive européenne propre aux emballages et aux déchets d’emballages ménagers et non ménagers a été adoptée fin 1994, alors que le système français des éco-organismes était déjà en place. Il s’agissait par conséquent de faire en sorte que le système français puisse continuer sans être inquiété par l’Europe.
Rien ne permet de justifier aujourd’hui l’opposition à la consigne pour réutilisation. Pour le Cniid, conduire une étude de faisabilité permettant de définir les conditions de mise en œuvre de la consigne des bouteilles pour réutilisation en France serait la seule suite cohérente des travaux conduits depuis 2008 [6], mais pour l’instant elle est en suspens pour des raisons qui ne nous convainquent pas. Pourquoi cette nonchalance, voire cette opposition des décideurs français alors qu’elle existe toujours chez de nombreux voisins européens ? D’un point de vue réglementaire et pratique, ces derniers recourent à des systèmes plus ou moins différents, mais la motivation des décideurs reste la même : prévenir et mieux gérer les déchets d’emballages.
La consigne pour réutilisation permet de réemployer un même emballage plusieurs fois avant qu’il ne devienne un déchet à traiter. Ce type de consigne, pouvant s’appliquer aussi bien aux contenants en verre qu’en plastique, s’intègre dans une démarche de réduction des déchets ménagers. D’après des expériences de terrain, la bouteille en verre se reconditionne jusqu’à 50 fois et la bouteille en plastique PET ne sera mise au tri qu’au bout de 25 usages.
Cela représente autant d’ordures ménagères en moins car, sauf si l’utilisateur l’évacue par erreur avec sa poubelle à la maison, la bouteille consignée pour réutilisation n’entrera aucunement en contact avec les déchets gérés par la collectivité. C’est en effet au niveau du point de vente ou du conditionneur que se fait le tri entre les bouteilles encore en forme et les bouteilles hors usage qui intègreront par la suite la filière des déchets industriels.
À l’inverse, la consigne pour recyclage s’applique aux emballages de boissons à usage unique, autrement dit jetables (les canettes et les bouteilles notamment). Si ce dispositif ne relève en rien d’une démarche de réduction des déchets, il peut toutefois entraîner des améliorations intéressantes : augmentation des taux de collecte sélective, limitation des dépôts sauvages et incitation financière pour le consommateur à opter pour des emballages réutilisables ou à moindre impact sur l’environnement [7].
En France, la consigne pour réutilisation (avec ou sans échange monétaire) continue d’exister dans des circuits courts (coopératives, AMAP, vente à la ferme…) et, de temps à autre, pour des produits locaux et régionaux. Récemment, elle a fait son apparition dans le cadre du Grenelle II : un amendement visant à rendre obligatoire la consignation des bouteilles de bières, d’eaux minérales et de boissons rafraîchissantes sans alcool d’ici 2015 dans l’hôtellerie et la restauration a été déposé par plusieurs députés.
Enfin, ne nous trompons pas, il faut se donner les moyens pour qu’un système de consigne des emballages de boissons fonctionne. L’adhésion à la démarche des acteurs clefs est ainsi indispensable. La consigne pour réutilisation en Alsace est aujourd’hui menacée par les distributeurs. Les brasseurs et autres professionnels de la boisson ayant recours à la bouteille en verre consignée restent convaincus de son intérêt économique pour le consommateur et pour l’environnement. Tel n’est toutefois pas le cas pour certains hypermarchés justifiant leur refus par les coûts inhérents à ce type de dispositif (employé ou machine qui rend la consigne, gestion de l’entreposage des bouteilles retournées…). Et comme le système de consigne n’est pas rendu obligatoire par la loi française, les distributeurs ne souhaitant plus proposer des bouteilles consignées ne seront pas inquiétés. In fine, ces faits nous rappellent surtout les limites des engagements et conventions, toujours volontaires, jamais contraignantes, signées entre les industriels et les pouvoirs publics.
Cet article est extrait du Cniid-infos n°36 (Avril-Août 2010), un bulletin financé par les adhérents du Cniid et dont ils ont la primeur. Si vous voulez soutenir cette information, adhérez !
[1] Illustre l’article de Mathieu Glachant dans « La Prévention des déchets », Annales des Mines (2005) : Le concept de Responsabilité élargie du producteur et la réduction à la source des déchets de consommation, p. 96
[2] Transcription de l’exposé de Jacques Pélissard : Les Maires, fantassins du développement durable lors de Rencontre-débat du Comité 21 du mercredi 8 juin 2005
[3] Conseil général de l’environnement et du développement durable, Inspection générale des finances, Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies (2009) : Rapport de la mission d’audit du dispositif de contribution à l’élimination des déchets d’emballages ménagers, p. 6
[4] Gérard Miquel et Serge Poignant (1999) : Rapport sur les nouvelles techniques de recyclage et de valorisation des déchets ménagers et des déchets industriels banals, Première partie IV B 2 e
[5] Cité dans Conseil général de l’environnement et du développement durable, Inspection générale des finances, Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies (2009) : Rapport de la mission d’audit du dispositif de contribution à l’élimination des déchets d’emballages ménagers, annexes, p. 338
[6] Gérard Miquel et Serge Poignant (1999) : Rapport sur les nouvelles techniques de recyclage et de valorisation des déchets ménagers et des déchets industriels banals, Troisième partie I A 2 d
[7] Etudes réalisées pour le compte de l’ADEME : Bilan des connaissances économiques et environnementales sur la consigne des emballages boissons et le recyclage des emballages plastiques en 2008 et Evaluation des résultats de la réutilisation et du recyclage des emballages en Europe en 2009.