Un rapport interministériel [1] publié le 11 mars dernier s’est penché sur le bilan environnemental de l’électronique Hi-Tech. Focalisé sur les enjeux énergétiques, le rapport aborde néanmoins la question des déchets et cloue au pilori les acteurs de la filière française des D3E (déchets d’équipements électriques et électroniques).
Les auteurs s’offusquent des piètres performances françaises face aux objectifs de la directive européenne : 2,5 kg de D3E collectés par an et par habitant alors que l’UE en exige 4kg [2]. « Quatre à dix fois moins efficace que ses voisins », la France a effectué des choix de collecte contestables pour les D3E des particuliers et a carrément vu disparaître toute filière consacrée aux déchets des professionnels. On comprend à la lecture du rapport que ces derniers pourraient bien alimenter les exportations illégales tandis que les petits D3E des ménages (téléphones portables, informatique sauf écrans) peinent à s’extraire des filières classiques de traitement des OM ou de récupération des métaux (par broyage et fusion).
On prend la même formule et on recommence ? Le processus de création des éco-organismes pour la gestion des D3E n’a apparemment pas tiré les leçons du scandale Eco-Emballages. Là encore, le rapport distribue bons et mauvais points. C’est l’organisme Ecosystème qui est visé, avec sa situation de quasi-monopole (70% du marché) et sa structure à forte consanguinité où clients et actionnaires ne font qu’un : la grande distribution. Ecosystème a ainsi reçu la majorité des 188 millions d’euros d’écotaxe et dort sur une trésorerie de 100 millions. Les investissements dans des filières de traitement sont toujours attendus – Ecosystème a imposé la règle du « un pour un » [3] qui reporte une charge indue de collecte sur les communes et, disposant de la puissance logistique de la grande distribution, a opté pour des choix peu écologiques : transports distants, filières « non nationales », pas de différentiation par marque, pas de traitement spécifique. A ses côtés, les organismes Ecologic (économie sociale et solidaire) et ERP (les grandes marques associées) sont bien notés, le dernier souffrant même de règles l’empêchant d’exercer une concurrence saine avec Ecosystème.
Malgré son ton très alarmiste, ce rapport ne tire pas les conséquences environnementales des faits exposés ci-dessus. Au Cniid, on sait de mieux en mieux ce que signifie au quotidien l’échec d’une politique de gestion des D3E : dans les feux à ciel ouvert des décharges asiatiques et africaines où terminent nos D3E, le chlore du PVC et les composés bromés (retardateurs de flamme) se combinent pour former des dioxines mixtes chlorées-bromées dont les chercheurs ont montré que certaines seraient plus toxiques que les dioxines déjà connues [4]. Ce phénomène se produit-il dans les fours d’incinération ou les fourneaux de seconde fusion des métaux ? Difficile d’en évaluer les conséquences écologiques et sanitaires tant que ce type de dioxines ne sera pas mesuré en sortie de cheminée. Quoiqu’il en soit, cela illustre clairement où devraient se situer les efforts d’une stratégie de gestion des D3E : seule l’éco-conception des produits en amont peut nous débarrasser des fardeaux toxiques de l’aval. Pour doper l’éco-conception, il faut que la collecte et l’écotaxe reflètent de manière différenciée les responsabilités de chaque producteur, pour pénaliser les produits peu recyclables au bénéfice des produits démontables, réparables, récupérables et recyclables en dernier ressort. C’est cette réaffirmation d’une Responsabilité Individuelle du Producteur (RIP), dans l’esprit de la directive européenne, qui fait gravement défaut aux conclusions du rapport interministériel.
[1] Rapport TIC et Développement Durable, Conseil général de l’environnement et du développement durable (MEEDDAT) et Conseil général des technologies de l’information (MINEFI), décembre 2008, téléchargeable sur www.telecom.gouv.fr.
[2] Soit 25% des 16kg/an produits par un Européen moyen.
[3] Un produit repris (en apport volontaire dans les 10000 points de collecte des distributeurs) pour un produit vendu ; ce qui limite l’apport volontaire et reporte l’effort de collecte sur les 4000 points municipaux.
[4] « Relative differences in aryl hydrocarbon receptor-mediated response for 18 poly-brominated and mixed halogenated dibenzo-p-dioxins and -furans in cell lines from 4 different species » - H.Olsman, M.Engwall, U.Kammann, M.Kempt, J.Otte, B. Van Bavel, H. Hollert – Juin 2007 – Environmental Toxicology and Chemistry.